24h à l'Alpe d'Huez


Samedi 18 juillet :

Voilà, nous y sommes à ce fameux 18 juillet, à ce défi proposé à Marion à l’issue des 4 x 6 heures sur home-trainer début mai.

Le défi me paraît plus grand que les 24 heures non-stop réalisées mi-avril, déjà parce que nous avons le défi du Mont-Blanc qui est encore bien présent dans nos jambes, parce que les conditions de repos ne sont pas optimales avec le voyage la veille, la semaine au camping, parce que les émotions du moment sont à l’image du parcours, faites de haut et de bas, parce qu’enfin la grosse chaleur est annoncée, et la thermorégulation est la plus grande épreuve à relever pour le corps.

Valentin, Merryl, Marion et moi partons de l’Alpe du Grand Serre direction le Bourg d’Oisans, une cinquantaine de kilomètres, le temps de réfléchir, des moments difficiles pour Marion qui pense à cette journée terrible de l’an dernier, jour où elle apprenait son contrôle. Sacré symbole de résilience que d’affronter ce défi tout juste un an après.

Le camp de base est situé sur l’aire de repos du rond-point de Bourg d’Oisans, à 300 mètres du pied officiel de la montée. Il est 13 heures précises quand nous partons à l’assaut après quelques photos souvenirs et publications d’usage pour ceux qui vont suivre notre défi. Une autre protagoniste s’apprête à affronter un autre immense défi, c’est Merryl. Marion lui a prêté son vélo de cyclo-cross, des pneus route, des pédales plates et « Titi » est prêt, Merryl attaque avec nous les 14 kilomètres de montée, affronter l’Alpe alors qu’on fait du vélo depuis à peine 3 semaines, c’est un beau challenge, et comme Marion, c’est aussi se prouver qu’on peut surmonter les épreuves et retrouver la lumière après avoir connu le noir, je suis très fier de les avoir toutes les 2 à côté de moi. Merryl montra bien sûr à son rythme, Valentin, Marion et moi attaquons les 21 lacets à notre rythme, il s’agit de ne pas se mettre dans le rouge, quelques hectomètres plus loin, Alex, un ami et coureur de région parisienne nous rejoint, il a en tête de faire également un Everesting, c’est-à-dire de cumuler un dénivelé positif équivalent à l’altitude de l’Everest, 8848 mètres, ce qui est aussi notre objectif minimum, représentant 8 montées.

Les 2 premières montées se passe sans encombre, nous montons aux alentours de 1h10/1h15. Après cette deuxième ascension, nous retrouvons Merryl qui est brillamment arrivée au sommet après environ 2h30 d’effort, elle récupère la voiture d’Alex, garé en haut pour redescendre et s’occuper ensuite de notre assistance. Marion nous refait le coup du Petit Saint-Bernard en anticipant le départ en bas, elle ne sent pas très bien avec la chaleur et le souvenir de l’an dernier, l’important est qu’on se retrouve à chaque montée et que chacun gère son rythme.

Après 3 montées, Valentin s’arrête, il compte refaire 3 montées le lendemain matin. Alex continue avec nous, avec un braquet trop important ça devient progressivement plus difficile même s’il est physiquement une jambe au-dessus de nous.

A la sixième montée, la dernière que fait Alex avec nous, Marion commence à trouver son rythme et nous serrons les dents, la fraîcheur du soir fait du bien car nous avons beaucoup souffert de la chaleur dans l’après-midi. Nous redescendons par la voie est, ce qui permet d’avoir un peu moins de pente et d’épingles sur la première partie de la descente que Merryl nous éclaire de la lumière du Trafic.

Il est environ une heure du matin, la nuit noire s’illumine désormais seulement des lampes de nos vélos, et seul le bruit de notre souffle et du roulement de nos pneus perturbent le silence.

Les jambes commencent à être endolories, l’appui sur la selle plus incertain, les coups de pédale plus saccadés mais nous enchaînons encore deux montées supplémentaires, le premier objectif est donc atteint, un record de dénivelé pour nous deux avec ces 8880 mètres. Nos corps commencent à vraiment souffrir du froid qui devient de plus en plus vif au fil de la nuit, tout devient difficile, ne serait-ce que mettre la main à la poche pour s’alimenter, mâcher et déglutir, tout effort superflu au pédalage est coûteux en énergie, tant physique que mentale. Nous commençons à profiter des virages aplanis pour avoir un moment de relâchement, nous montons maintenant le plus souvent côte à côte Marion et moi, sans un mot, parce qu’on a besoin de nous centre sur nous-même, parce que parler serait une perte d’énergie mais la présence de l’un pour l’autre, de l’un avec l’autre nous suffit.

Dans la neuvième descente, nous grelottons, curieusement il semble faire de plus en plus froid au fur et à mesure que nous descendons. Nous nous changeons, Marion s’allonge sur la banquette arrière, je m’allonge à même le sol dans un sac de couchage, quelques minutes sûrement prise trop tard, à méditer pour une prochaine expérience. Et nous repartons, épuisés, comme des pantins désarticulés, comme des fantômes au milieu d’un désert à l’assaut, au combat, presque à la mort, dans une dixième montée, nous sommes collés au bitume, particulièrement sur ces 3 premiers kilomètres, exigeants, à environ 11% de moyenne, nous zigzaguons à 4, 5, 6 km/h. Le jour se lève, nos forces se meurent. Il est environ 8h10 quand nous achevons ce calvaire. L’objectif est atteint mais si quelques heures, nous étions sur un rythme où les 12 semblaient possibles. Mais là le cœur et la tête demandent grâce. Les corps sont meurtris, surtout celui du Marion dont les frottements des habits ont lacéré la peau. Nous nous couchons, nous dormons. La tête tourne, nauséeuse. Les jambes ne tiennent plus le poids des corps, les yeux n’ont pas même la force de rester ouverts et les bouches de s’exprimer.

Marion s’arrêtera là, avec la présence d’Alex et Valentin, je fais aller faire une ultime montée, je ne sais pas si leur présence me fait plus de bien ou de mal car je suis dans ma bulle, je vais à mon rythme. Dans les premiers kilomètres, je me fais doubler par un cycliste en baskets avec du poil aux pattes, la difficulté me rend modeste, la fierté m’ira quand même le redoubler quelques kilomètres plus haut, j’ai beau ne pas avoir un dossard depuis 7 mois, il y a quelques restes 😊.

Après un détour par la ligne d’arrivée on revient à la voiture où nous attendent Merryl et Marion, ainsi que Xavier et Delphine qui nous ont rejoint après avoir également effectué une montée de l’Alpe. Nous commandons des pizzas avant d’aller nous poser au soleil un peu plus haut dans le col de Sarenne, récupérer et partager un beau moment ensemble.